Danser la forêt

Les arbres sont morts, découpés. Des morceaux partout. Disloqués, inertes, désunis. Les vestiges d’un temple. Des êtres brisés. L’humain s’est enseveli sous cet amas de débris.

Puis une vibration vient déconfiner le corps, le faire respirer. Renaissance. Le bourdonnement d’un renouveau. La reconstruction d’un mouvement. D’abord, pris par la peur, tout doit reprendre sa place. Mais les places d’antan ont désormais disparues. Course effrénée vers une logique absurde. Une seule solution pour essayer de dépasser les craintes de la précarité matérielle, des équilibres rompus, il faut ressaisir son corps, le faire danser avec les dépouilles sublimes des arbres passés. Relancer une danse. Accepter que la souplesse permet d’aller aussi haut que la rigidité. La branche est un tronc en puissance.

De nouvelles forêts de signes sont possibles. Il suffit de suivre les échos du passé, d’accepter que les étoiles peuvent nous toucher. Des existences nouvelles, des mouvements inédits sont cachés dans les creux des arbres laissés à l’abandon. Dans les pénombres enveloppantes, un rêve naît déjà. Un rêve fluide, sonore et enivrant.

Lanamata (sortie de résidence) – Cie Um passo a frente – CIRCa Auch – 27 février 2023

Picassauts

Je repense à ce podcast : Picasso, séparer l’homme de l’artiste. J’ai envie de tout mettre dans le même seau. J’ai envie de vomir, il fait chaud et la fille du vestiaire s’en fout de l’art capitolin. Elle préfére regarder sa série sur son smartphone.

Les sièges sont confortables, et les colonnades sont peintes. Je vois mal, je suis entouré de cette fausse douceur, de ce moelleux qui n’a rien d’apaisant. Pas d’ici, je suis. Je ne rencontre pas l’émotion. Le coeur qui bat. Tous les mots qui viennent ne disent rien, ils volettent au-dessus de l’abîme sans prendre corps.

Ils sont beaux pourtant les danseurs*ses , exceptionnels, excellents. La crème de la crème du dessus du lot. Mais je ne perçois aucun morceau d’humus, aucun grain de sable. Seulement des carlingues de métal, arrachées à la terre pour toucher les étoiles. Toucher les étoiles…

Se tenir. Sur les plateaux les danseurs*ses dépassent cette tenue. Ce sont des dieux en mouvement. Si parfait, si sublimes, si talentueux, entièrement dédiés à l’excellence, à l’activation de la libido de ceux qui ont déjà tout.

Il y a tout l’imaginaire des puissants, les taureaux, les faunes, Cocteau, les voix des morts célèbres. Tout autour de moi est en train de crier : « La beauté est là ! » Mais encore et toujours je ne vois pas le serpent, la fissure, l’humanité. Bulldozer d’excellence, aucune secousse, perfection sans équivoque. Qu’est-ce que ça dit de moi cette sensation ?

C’est comme s’il n’y avait pas de style, pas d’individualité, ou alors une individualité normée. C’est l’art parfait, l’art qui doit être. L’Etre qui ne peut que se faire applaudir.

J’applaudis. Évidemment. C’est ça être subjugué ? J’ai envie de voir la germination de leurs mouvements, leurs recherches, leurs apprentissages. Les fleurs que je contemplent portent déjà leur fin il me semble. C’est déjà le début de la mort. Comment renaîtront-ils ?

Et puis des « espagnols » de série B arrivent sur scène. Cliché. Lieu commun. Réduction. Exotisme mal digéré. Je quitte la salle avant tout le monde. Je n’ai pas compris.

Toiles étoiles – Ballet du Capitole – Théâtre du Capitole-Toulouse – 18 février 2022

Korkarrés

Ils sont deux sur une île. Deux corps similaires qui se tournent autour, se saisissent, s’entrelacent, se construisent. Sur leur îles, leurs « je » s’amusent. Des questions, des réponses, des émotions qui si partagent.

Au fil des évolutions corporelles, des portés, des liens, des danses, des détours, des glissades, ils cherchent une individualité. Comment être unique à deux ? Comment être un « je » dans un « nous » ? Les deux corps deviennent alors plus virulents, plus lourd. Le duo est aussi un duel. L’un s’échappe, l’autre reste. Il faut continuer à jouer coûte que coûte. Même quand il ne reste qu’un brin de lueur entre ses mains, qu’un infime reflet au fin fond de la nuit. Même quand tout se disloque, et se reforme autour de soi. Le tapis de jeu des garçons, devient un livre, une caverne, un radeau, un fragment de continent, un objet ouvert à tous les possibles. Une membrane avec laquelle transformer son être, son monde, le monde. Dans un mouvement commun, l’un avec l’autre, apprendre, se retrouver vers la lumière. Et danser.

Carré de Je (Sortie de résidence) – Kirn Compagnie – CIRCa-Auch 14 mars 2022

soutenir les souvenirs

On ne marche pas dans les rêves, on glisse. Les espaces s’enchaînent, les émotions, les personnes. Les mots sont de trop. Le silence des souvenirs s’impose. La lumière s’écoute, dilue les visages. Caresses fluides sur lit de boules blanches. Marcher comme sur des oeufs, avec eux, entre nous. Dans l’intimité d’une histoire, d’un passé, d’une existence. Les souvenirs et les maintenants se tissent, se nourrissent, nous transforment. Il faut bien faire attention. Il faut bien se rappeler, bien ranger les monticules et les structures, bien sentir, pour pouvoir continuer à vivre, à dialoguer, avec soi et avec les autres. A la fin il suffira d’un simple geste, d’un simple regard pour nous dire, nous raconter encore un peu.

Je me souviens, Le Ciel est loin, la terre aussi – Aurélien Bory / Mladen Materic – CIRCa -Auch, le 17 février 2022

La vérité des fous

Comment ça va ? Ça va. Normal, ça va. Mais si ça va pourquoi je suis là.

Le regard plein de vide. La télévision. Les cachets qui irradient dans la tête. La chair à vif, les émotions qui débordent. Ça secoue, mais ça s’équilibre. Crises et liens. Vérité des fous, délire des dingues, mensonges de l’inadaptation. Le dehors, l’autre, un impossible. La pluie, la caméra. Du sensible, posé sur du sensible, et recouvert de sensible.

Ne rien nettoyer, montrer le dedans et la façade. Il « écoute la musique qu’il a dans la tête ». Il « ne pouvait plus reconnaître les visages ». Elle vomit, elle ne peut pas parler. Contre la saleté. Le monde est sale. S’échapper. Exprimer. Mais comment fait-on, ça déborde, ou c’est figé, ou ça s’évapore. Fumée. La fumée des clopes. Un moyen de « tuer la mort » ? Mettre à distance la peur, le néant, s’accrocher à un geste. Un reste de geste comme les autres. Tenter de faire groupe malgré les cris et les trajectoires hirsutes. Des fous liés.

C’est comme dehors, mais avec un peu moins de vernis, un peu trop d’excès d’être. Vrai, faux. Décalé. Ça parle, ça parle, ça échange mais ça ne dit pas. Ça dégueule, ça esquive, ça suinte. Le monde est sale. Comment rejoindre cette pureté, l’ultime de sa trajectoire ? Par où ça rentre ? Par où ça sort ? Ça c’est devant. Ça se questionne. Mais au fond c’est calme. Il n’y a que la chair et ses angoisses communes. Rien de spécial. Peu importe qui mourra le premier. Au fond c’est calme. Comme dehors.

Kliniken, le 3 février 2022, Théâtre de la Cité – Toulouse.

Texte : Lars Norén

Mise en scène : Julie Duclos

Épisode 1

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